Jean-Claude Golvin

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Lutèce et ses nautes

La ville, à cette époque, était assez modeste et ce n’était que la capitale d’un petit peuple sans grande influence politique, les Parisii. Elle avait été construite au début de l’Empire, après que l’on eut déplacé ces Parisiens de leur précédent établissement, qui se trouvait alors du côté de Nanterre.Ils étaient maintenant installés sur la rive gauche, dans l’actuel quartier latin, et, pour y arriver quand on venait du nord, il fallait d’abord passer par l’île qui servait de point d’appui au pont sur la Seine. Mais la position était avantageuse car il y avait là un bon port fluvial et celui-ci contrôlait tout le trafic du fleuve et de ses affluents vers l’amont, l’Yonne et la Marne notamment.

Quand on descendait vers l’aval, on gagnait facilement lamer, grâce au courant ; une fois arrivé à Rotomagus (Rouen), on pouvait facilement passer en Bretagne. Il y avait d’ailleurs, à Lutèce, une corporation de bateliers installés sur place de temps immémorial et dont l’activité était florissante. Jusqu’à maintenant, la firme de Caius Sentius Regulianus & Co n’avait pas envoyé ses marchandises par cette route, privilégiant ses contacts vers la vallée du Rhin, son marché prioritaire et traditionnel. Mais peut-être était-il temps de se développer dans ces régions ? Dionysius, en tout cas, se posait la question et, en arrivant à Lutèce, il décida d’aller au bureau des bateliers, qui était situé sur le port, dans la zone des entrepôts.

Il y avait à Lyon des concurrents qui exploitaient déjà cet itinéraire et c’était l’occasion de prendre ici les contacts nécessaires.Le patron de la corporation était alors un certain Toutius Incitatus — voilà un beau nom gaulois qui fleurait bon le terroir ! — et il faisait en même temps le commerce des grains. Son plus jeune frère, Sextus, était installé à Lyon où il était devenu un notable, et lui-même était transporteur, ce qui facilitait les échanges entre le bassin de la Saône et celui de la Seine. Mais cette entreprise familiale n’avait pas l’importance, l’assise financière et l’entregent d’un homme comme Caius Sentius Regulianus, ce qui limitait son chiffre d’affaires, notamment pour le trafic de l’huile espagnole vers le nord. On avait donc des intérêts communs et on allait sans doute pouvoir travailler ensemble ; Dionysius et lui décidèrent de faire un premier essai, mais il faudrait voir les modalités pratiques à Lyon, avec Sextus. En quittant Lutèce, le surlendemain, par la grande rue qui menait vers le sud(notre actuelle rue Saint-Jacques), notre voyageur songeait à toutes les informations qu’il avait glanées pendant ce long périple ; il entendait bien les mettre à profit, pour son propre compte. À Lyon, Caius Sentius Regulianus, qu’il n’avait pas vu depuis plus de trois mois, l’accueillit à bras ouverts, lui annonçant qu’il venait d’être appelé à Ostie par son excellence, le préfet chargé du ravitaillement de Rome, pour s’occuper de l’approvisionnement en huile de la capitale. Il partait avec toute la famille, sa femme Ulattia Metrodora et ses jeunes fils, faisant de Dionysius son fondé de pouvoir pour les affaires lyonnaises sur lesquelles il entendait bien garder un œil. À lui le soin, désormais, ainsi que la fortune.

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