Jean-Claude Golvin n’est pas seulement un artiste, mais également un chercheur. Architecte puis historien au sein du CNRS, son apport au monde scientifique est notable depuis plusieurs décennies. Afin de mieux comprendre comment il a développé et souvent réussi à associer ces deux activités, il répond à quelques questions.
Avant 1990, j’avais lié à ma recherche des dessins sobres et « techniques ». Mais, à partir de cette date, je me suis intéressé, en plus de la recherche, à la communication vis-à-vis d’un large public. Il fallait pour cela faire appel à des images crédibles mais beaucoup plus évocatrices et trouver un style adéquat. Ma formation d’architecte m’a servi à maîtriser la perspective, les proportions, l’échelle et la fibre artistique s’y est ajoutée de façon plus personnelle.
Pour poursuivre mon activité dans le domaine médiatique je devais garder le lien avec la recherche scientifique. Ce lien était mon point fort. S’en éloigner aurait été stupide et suicidaire. Je me serais fait descendre en flèche, et à juste titre, dans le milieu de la recherche qui est hypercritique.
L’architecte privé est avant tout celui qui résout, par sa création architecturale, des problèmes qu’un « cahier des charges » lui a posé. Telle a été ma formation de départ.
J’ai essayé de me replacer dans les conditions d’un architecte (ingénieur-architecte) de l’époque romaine pour comprendre les problèmes rencontrés (par la conception et la construction d’un pont, d’un aqueduc, un amphithéâtre) et proposer la façon la plus vraisemblable dont il aurait pu les résoudre, car les textes anciens sont loin de nous avoir tout expliqué.
L’aquarelle est souple, harmonieuse, rapide à employer (car son séchage est rapide) et j’avais un peu d’expérience en la matière au moment de me lancer dans les restitutions.
Il m’a fallu à ce moment agir dans l’immédiateté. Avec cette technique, que j’aimais, j’avais une chance de ne pas me casser la figure d’emblée.
L’aquarelle est rapide, efficace, souple et peu onéreuse d’utilisation. Par ailleurs, je n’ai acquis aucune formation pour maîtriser l’image électronique, et je n’ai pas le temps d’apprendre à le faire. Je ne fais qu’y collaborer au niveau de la réflexion qu’impose la restitution et ceci m’arrive continuellement.
D’autres techniques conviendraient comme l’encre de couleur. Je l’utilise un peu mais de façon complémentaire. La gouache ou l’acrylique par exemple, peuvent convenir à d’autres, mais je n’en ai pas l’expérience. Je n’ai même jamais eu l’envie ou le temps de m’y frotter. Il en est de même pour la peinture à l’huile.
Je ne dois jamais me « lâcher » par plaisir en me lançant dans des effets spectaculaires de couchers de soleil, de vents de sable, de raclages, d’estompages, de flou artistique.
Je suis tenu par le caractère didactique de mes images. Elles sont faites avant tout pour expliquer quelque chose. Elles s’efforcent de bien montrer ce qu’on aurait pu voir à une époque, c’est cela qui prime. La question esthétique est au service d’une information qu’il faut délivrer sans ambiguïté. Les images doit avoir ainsi un caractère réaliste. Il faut néanmoins donner du plaisir à l’observateur. Il est fondamental qu’elles soient belles, voire séduisantes pour bien jouer leur rôle.
Les outils les plus simples suffisent : crayon, gomme, stylo à encre de Chine, règle, équerre, compas, pinceaux, aquarelles. Avec un stylo ou un simple pinceau on peut faire un chef d’œuvre ou quelque chose de nul. C’est le savoir-faire et l’inspiration qui comptent mais avant de dessiner une restitution il faut avoir étudié très sérieusement le sujet : lu les publications scientifiques, discuté avec les chercheurs, leur avoir proposé des esquisses.
Oui il y a pas mal de « cuisine » personnelle à mettre en œuvre pour être efficace et gagner du temps. Dans la réalité du monde de la communication (revues, émissions) nous sommes tenus de réagir rapidement. Un moyen de gagner du temps est d’ombrer et de colorier les dessins en série. Mais surtout je me suis habitué à choisir le bon format de la feuille. S’il est trop petit je ne pourrai pas dessiner les détails, s’il est trop grand je perdrai un temps fou inutilement.
Je gagne beaucoup de temps en parvenant, par habitude, à construire une perspective de manière simplifiée. J’ai tellement pratiqué la perspective que je peux jouer avec elle et lui donner des accentuations qui font que l’image dessinée est plus efficace et expressive que l’image en 3D. Il faut arriver à jouer de la perspective comme Paganini joue du Violon ou comme Mozart se joue des règles de la musique au point de rendre harmonieuses les dissonances. Tout est affaire de pratique.
La phase de recherche qui précède un dessin est très variable. Elle va de quelques jours à plus d’une semaine et dans le cas des grandes expositions toute une année. Tout dépend de l’importance de la documentation à étudier et de la difficulté de l’exemple. En revanche, le temps d’exécution est prévisible. Pour une planche de 100×60 cm il est de l’ordre d’une semaine. Grâce à une grande pratique je ne me trompe jamais dans mes prévisions.
Il faut arriver à travailler vite et bien. Une fois étudiée la restitution d’un monument à l’échelle en plan, coupe et élévation, j’ai déjà une image virtuelle du monument en trois dimensions dans le cerveau. Je la voie intérieurement. Je peux alors par des dessins rapides (ébauches) étudier sous quel angle je souhaite la montrer. Je gagne du temps à les dessiner petit. Puis, si une ébauche me convient, je le fais agrandir automatiquement pour passer au stade suivant, celui de l’esquisse qui sera plus précis.
Au stade de l’esquisse tout est bien mis à l’échelle et le dessin est enrichi de tout ce que l’on veut lui faire dire (personnages, véhicules, détails). L’esquisse donne une idée parfaite de ce que sera le dessin définitif. Une fois envoyée par internet au collègue archéologue (qui souvent habite loin) elle peut être corrigée en une seule fois. La phase suivante est celle de réalisation de la planche définitive en deux temps qui sont d’une durée équivalente.
Premier temps : dessin au crayon, corrections, encrage, gommage.
Deuxième temps : ombrage, couleurs et finitions.
Le véritable départ de la grande aventure serait 1990. Tout ce qui précède pourrait être considéré comme une phase préliminaire. Tout a changé lorsque j’ai publié des images médiatiques dans des livres destinés à un public élargi et dans de grandes revues comme Géo, le Point, l’Express etc. Certains archéologues et historiens parfois très réputés avec qui j’ai collaboré ont adhéré à la démarche, d’autres y ont été réticents car elle était nouvelle et bousculait un peu trop les habitudes.
Le tournant s’est produit avec les éditions Errance qui m’ont amené à collaborer avec de nombreux archéologues, dont Christian Goudineau, professeur au collège de France et spécialiste de la Gaule. D’autres universitaires ont été très tôt mes alliés, comme Philippe Fleury, dont le laboratoire CIREVE de l’Université de Caen, s’appliquait à la restitution en 3D des monuments de Rome. Les colloques et les publications scientifiques faites dans ce cadre m’ont beaucoup aidé. Mais aussi mon propre laboratoire du CNRS (l’Institut Ausonius de l’Université de Bordeaux III) a été d’un appui déterminant.
La première étape est l’acquisition de la connaissance du sujet : je dois trouver auprès des chercheurs qui ont étudié le site les meilleurs documents et conseils. Il faut arriver à se faire une idée de l’aspect et de la fonction des monuments étudiés et en proposer une restitution crédible. Cette étape de la recherche est fondamentale : c’est elle qui va donner sa solidité à la restitution. La seconde étape est celle de la réalisation effective de l’image.
Elle peut être faite par le dessin manuel en 2D ou à l’ordinateur en 3D. l’un n’exclut pas l’autre.
Une grande partie de la recherche qui est à l’origine d’une restitution n’est pas publiée. En effet, on ne peut pas le faire dans une publication destinée au grand public dont ce n’est pas l’objet et au risque de lasser le lecteur en se répétant. L’éditeur veut utiliser les images abouties telles quelles et ne se préoccupe pas de raconter à chaque fois leur histoire.
Les images lui conviennent quand elles sont publiées à l’appui d’un texte rédigé par un archéologue réputé et réalisées en collaboration avec lui. Discuter des problèmes de méthodologie dans ce domaine est une affaire de spécialistes. C’est dans un cadre spécialisé que les discussions avancent à l’occasion de colloques.
Je suis moi-même historien et archéologue par mes titres universitaires, mes recherches et publications pointues. Je ne suis pas un simple illustrateur. La discussion se fait donc au meilleur niveau scientifique. J’apporte à l’équipe ma vision, mes compétences d’architecte et ma patte d’artiste.
La collaboration pluridisciplinaire s’est illustrée d’une part dans les publications scientifiques des missions que j’ai dirigées, par exemple celles qui ont concerné les temples romains de Dougga en Tunisie. C’est la synthèse des informations données par les relevés de terrain et l’exploitation des très riches inscriptions de ce site qui a permis d’aboutir à des restitutions solidement fondées et également de publier du même coup des paragraphes relatifs à la méthodologie de la restitution architecturale.
La participation ou la réalisation de grandes expositions m’a offert aussi une occasion de collaborer avec les conservateurs et les chercheurs de grands musées : Le Louvre, le musée Carnavalet à Paris, Le Petit palais à Paris, le musée Arles Antique, le musée de la Romanité à Nîmes, Lugdunum – Musée et Théâtres Romains, le musée d’Aquitaine à Bordeaux, le musée d’Histoire de Marseille.
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